L’EPOQUE CAROLINGIENNE.
Introduction.
Pour les lettrés carolingiens, la société chrétienne est une « ecclésia », entendue comme la communauté réunissant tous les fidèles chrétiens. Peu à peu à partir du VIII°, s’élaborent des théories visant à exposer cette société chrétienne idéale, à lui donner des cadres. Tout d’abord, au sein de la société, se distinguèrent 2 ordres (les clercs et les laïcs) puis 3 (les clercs, les moines, et les laïcs, ou les clercs, les princes, les producteurs). A un moment où les ecclésiastiques et les souverains (Charlemagne) cherchent à remettre en ordre la société, conçue comme un tout, cette réflexion paraît adaptée. L’époque carolingienne représente un tournant capital dans l’élaboration d’une réflexion sur la notion d’ordre. Les auteurs carolingiens utilisent pour cela des sources antiques qu’ils vont christianiser à l’instar d’Haymon maître d’école d’Auxerre. C’est le premier qui élabore la théorie médiévale des trois ordres. Au début de son commentaire sur l’Apocalypse, il donne un schéma des 3 ordres de l’ecclésia marchant vers
Comme on le devine, les 3 ordres ne sont pas fixés, mais chacun propose son modèle.
Au sein de l’ecclésia, les clercs et les moines jouent un rôle important à l’époque carolingienne car ils représentent, en plus du roi, les guides à suivre en matière de pastorale chrétienne. Dans l’organisation de la société carolingienne, en particulier sous le règne de Louis le Pieux, évêques et moines servent également de points d’appui au pouvoir royal ou impérial ce qui explique pourquoi les grandes réformes sont insufflées par le roi ou l’empereur.
I. L’ordre des Clercs.
- La place du roi ou de l’Empereur.
Si l’empereur s’appuie sur les aristocrates, il va aussi largement s’appuyer sur le clergé qui va faire l’objet d’une grande réforme générale. La sacralité du roi ou de l’empereur l’incite à contrôler étroitement les membres de l’Eglise. Les évêchés et les monastères, protégés par l’empereur, vont constituer des points d’appui du pouvoir central et forment donc un autre moyen de contrôle du territoire par les Carolingiens.
Ces relations étroites avec l’empereur sont d’abord attestées par le recrutement des évêques et des abbés ; ceux-ci sont le plus souvent choisis parmi les membres de l’aristocratie ; ce sont souvent des enfants élevés, « nourris » à la cour impériale, à l’instar des évêques du VIIème comme Didier de Cahors.
En tant que représentant de l’Eglise, le souverain intervient aussi directement dans la vie religieuse : il nomme les évêques, convoque des conciles. Réciproquement les évêques doivent le guider et le conseiller. Le règne de Charlemagne peut être considéré comme celui de la « théocratie royale » : en effet, ce dernier entend être le représentant de Dieu sur terre comme le suggère le texte de l’admonition Generalis. Le couronnement impérial de 800 renforce cette conception et donne aussi une nouvelle place à la papauté.
- Une place nouvelle pour la papauté.
A l’époque mérovingienne, l’Eglise n’est pas encore assez unifiée pour donner au pape le rôle de « chef » de la communauté chrétienne comme il le devient plus tard. Certes, sa position en tant que successeur de Pierre est prestigieuse, mais il existe alors plus une « fédération » d’Eglises qu’une conception unitaire de celle-ci. Divers mouvements venant des Eglises de Bretagne ou de Germanie favorisent déjà l’intervention du pape dans la manière de conduire la christianisation de certaines régions. Toutefois, c’est bien au cours du IX° que la papauté acquiert une nouvelle place sur l’échiquier politique occidental.
Au VIII° siècle et même jusqu’au règne de Louis le Pieux, le pape est perçu comme un égal du roi puis surtout de l’empereur. Ce dernier s’envisage comme recteur de
Les années 830 mettent en cause la suprématie du pouvoir impérial et les prélats débattent au sujet du rôle des clercs et du pape (concile de Paris de 829, œuvre de Jonas d’Orléans)
A partir des années 860, les problèmes de succession impériale, les affaires matrimoniales (le « divorce « de Lothaire II), renforcent le rôle du pape en tant qu’arbitre. La seconde moitié du IX° est donc marquée par des figures pontificales qui s’affirment face au pouvoir impérial comme Nicolas Ier (858-867) ou Jean VIII. L’Eglise commence alors à se penser comme une structure unitaire mais ce n’est que le début d’un long parcours qui aboutit seulement au XI°.
- Réorganisation et réforme du clergé épiscopal.
Evêques et prêtres remplissent des fonctions déjà très importantes à l’époque mérovingienne mais leurs actions, suivant les Carolingiens, manquent de concertation et de rigueur. Par exemple, certains diocèses n’ont pas d’évêques, d’autres sont trop étendus pour être bien gérés, des prélats ont des mœurs peu rigoureuses, les auxiliaires de l’évêque, prêtres et chanoines, mènent parfois une vie peu « chrétienne », la liturgie n’est pas toujours bien respectée. Enfin, certains membres de familles aristocratiques parviennent à occuper les fonctions d’évêques régulièrement et gèrent les biens de l’Eglise comme leurs biens propres.
Cette variété de comportements ne favorise pas un encadrement uniforme et efficace des fidèles, ni une cohérence dans l’attitude des prélats. Le pouvoir royal ou impérial carolingien va donc chercher à uniformiser les structures ecclésiastiques pour finalement mieux les contrôler. Les souverains sont aidés par une partie de l’épiscopat dont les membres sont leurs plus proches conseillers. L’importance des missions qui sont confiées aux évêques par le roi est même dénoncée au concile de Paris en 829, les prélats réclament plus de temps pour gérer leur diocèse.
Les réformes sont entreprises sous le règne de Pépin mais surtout sous Charlemagne. Le texte d’Eginhard énumère la fin du règne 21 archevêchés ce qui témoigne d’une meilleurs organisation des provinces, regroupées en évêchés suffragants. A une autre échelle, les évêques cherchent à mieux contrôler leur diocèse en encadrant les paroisses dont la structure juridique se précise.
Hincmar de Reims entreprend une grande enquête auprès des prêtres de son diocèse pour obtenir un état des lieux des paroisses. Textes normatifs et sources archéologiques viennent s’épauler pour témoigner d’un encadrement ecclésiastique renforcé. Toutefois, prudence : le réseau paroissial n’est abouti qu’au XI° siècle ; il s’agit d’un phénomène particulièrement lent et sans doute très inégal.
Un autre mouvement de réforme concerne la rénovation de la liturgie et la prédication. En 813, les conciles sont tenus à ce sujet, visant à uniformiser les pratiques. On demande aux évêques de prêcher dans une langue compréhensible par les auditeurs, on interdit aux laïcs et aux femmes le droit de prédication.
Enfin, un effort particulier est fait en faveur de la vie des clercs subordonnés à l’évêque, les chanoines, qui sont invités à adopter un mode de vie monastique. Jusqu’alors ils n’étaient pas astreins à la vie commune (dortoir et réfectoire surtout)mais vivaient en ville dans leur propre demeure. Un évêque, celui de Metz, Chrodegang (724-766) élabore une véritable règle de vie pour ces auxiliaires. Ce règlement est moins strict que pour les moines, mais il contraint à la vie à l’intérieur d’une clôture.
Chrodegang et le groupe épiscopal de Metz. Chrodegang, est évêque de Metz, il occupe aussi l fonction de chancelier de Pépin le Bref. Il va élaborer une règle de vie pour ses chanoines entre 755 et 757, en s’inspirant de
Metz est une cité très importante de l’Austrasie où plusieurs membres de la famille carolingienne sont inhumés comme Hildegarde, femme de Charlemagne. L’établissement de la cathédrale à Metz remonterait au V°.
Des vestiges carolingiens à Metz indiquent que cette seconde moitié du VIII° marque bien le début de la « renaissance carolingienne » en architecture.
La règle de Chrodegang, a servi de modèle à d’autres communautés, mais aussi cela reste un mouvement ponctuel. Les assemblées réformatrice de 816, à Aix
II. L’ordre des Moines.
Si les évêques restent les conseillers privilégiés du roi ou les officiers de son palais, les moines vont jouer un rôle important dans le nouvel ordre que veulent mettre en place les Carolingiens. Comme pour le clergé séculier, on note une ferme volonté d’uniformisation, notamment osus le règne de Louis le Pieux. Cette homogénéisation va de pair avec un contrôle plus étroit des monastères. La réforme souhaite bien confier aux moines une tâche essentielle, celle de prier pour le salut de l’âme du souverain et celle des membres de sa famille.
- Les nécessités d’une réforme.
Au VIII° siècle, on compte environ 650 monastères en Occident. Ils sont particulièrement diversifiés : de la petite cella rurale, abritant quelques moines aux grands établissements réunissant plusieurs centaines de religieux.
La variété des situations à l’origine des fondations explique en partie cet état de fait. On se souvient du poids de l’aristocratie dans la fondation des monastères familiaux qui échappent en partie au contrôle du pouvoir central. Ces monastères sont plus ou moins bien dotés pour survivre. On peut à ce sujet rappeler les fondations de monastères féminins qui servent aussi à abriter les veuves ou certaines jeunes filles de l’aristocratie. Ainsi, dans la famille des Pippinides, Itte veuve de Pépin de Landen, fonde en 649, un monastère sur ses terres sur le conseil de l’évêque Armand. A sa mort sa fille Gertrude devient l’abbesse du monastère qui prospère rapidement. D’autres établissements comme Bobbio ou le Mont Cassin sont fondés par une grande figure monastique ; le souverain aide aussi beaucoup à établir des monastères comme la reine Bathilde au VII° siècle en Neustrie.
Les règles de vie y sont aussi multiples. Certains prétendent suivre la règle bénédictine, d’autres les usages colombaniens, tous suivent aussi des coutumes qui leur sont propres. Par ailleurs, il existe alors des formes différentes du monachisme avec des moines dit gyrovagues, c'est-à-dire vagabonds, ermites que l’on confond parfois avec des mendiants. Cette errance ne satisfait pas l’épiscopat qui cherche à contrôler tout mouvement au sein du diocèse. La fondation d’un monastère doit d’ailleurs recueillir l’autorisation du prélat
Dans ce domaine encore, c’est sous le règne de Charlemagne que les réformes sont entreprises mais c’est surtout son fils Louis le Pieux, qui va les mettre en œuvre.
Les souverains veulent des monastères stables et souhaitent pouvoir compter sur les prières des moines pour le succès de leurs entreprises et le salut de leurs âmes.
- Benoît d’Aniane et les outils de la réforme.
Dès la fin du VIII°, des capitulaires sont promulgués pour assurer un respect des vœux du moine et de la règle adoptée. Les évêques interviennent dans les monastères pour interdire toute activité extérieure des moines. C’est sous le règne de Charlemagne que le besoin est ressenti d’unifier les règles de vie. Charlemagne fait copier
Avant d’être empereur, Louis est roi d’Aquitaine, il œuvre déjà dans ce cadre avec un moine languedocien, Benoît d’Aniane, à qui il va confier le soin de « diriger » la réforme des monastères du Regnum puis de l’empire.
Né vers 750 il porte alors un nom wisigoth ; Witiza ; il est le fils du comte de Maguelone. Il entra au monastère de Saint Seine (près de Dijon), devient moine et prend le nom de Benoît. Peu après, mécontent du relâchement disciplinaire dans les monastères, il parvient à fonder son propre établissement sur les terres familiales, à Aniane. Il demande à ses compagnons de suivre
Entre 816 et 817, Benoît préside de grandes assemblées à Aix
Par ailleurs, Benoît a aussi laissé un texte important qui est une « concorde entre les règles » (concordia regularum). L’abbé s’est attaché à montrer les relations qui existent entre chaque règle écrite connue. Cet ouvrage atteste de la connaissance importante de Benoît du monde monastique, indispensable pour pouvoir mener à bien ses réformes. On soulignera aussi que Benoît est entouré d’un réseau d’abbés et d’évêques le soutenant dans son action, il s’agit bien d’un projet collectif. Le plan di de Saint Gall, manuscrit exceptionnel, semble être la représentation idéale d’un monastère bénédictin. Il pourrait avoir été élaboré à la suite des conciles d’Aix.
Pour faire appliquer la réforme, des missi sont envoyés dans les monastères pour expliquer, voire sanctionner. Le plus gros problème est posé par les établissements qui ont adopté une règle plus souple ; celle des chanoines. En effet, autour des anciennes basiliques conservant de précieuses reliques, des communautés de clercs se sont crées (Saint Martin de Tours, Saint Denis) Ces religieux hésitent entre le mode de vie canonial ou monastique. Ainsi le monastère de Saint Denis a alors à sa tête l’abbé Hilduin qui refuse d’adopter la règle bénédictine. Benoît d’Aniane et son homologue Arnulf viennent pour proposer une réforme mais leur tentative échoue. Les moyens mis en œuvre sont assez importants, mais il demeure difficile de mesurer les effets concrets de cette réforme pour chaque monastère. Ces efforts ont toutefois assurément accordé une nouvelle place aux moines dans la société et instauré de nouvelles relations avec la royauté.
- Des liens privilégiés entre monastères et royauté.
La réforme monastique ne peut pleinement se comprendre sans tenir compte des rapports qui s’instaurent avec la royauté. En effet, pour garantir l’application de la règle bénédictine, les souverains vont déployer des moyens importants, tissant des liens étroits avec les moines. Ces liens sont en relation directe avec le rôle joué par les religieux dans la société. Ceux-ci vivant en retrait du monde, doivent théoriquement consacrer leur temps à prier. Ils prient pour le salut de l’empereur de sa famille et pour la stabilité de son règne. Ce sont des intermédiaires entre Dieu et cette mission qui prend de plus en plus d’importance. Ces prières sont réalisées en l’échange de dons royaux que l’on connaît grâce aux diplômes conservés.
En général lorsqu’un monastère suit la réforme et adopte clairement la nouvelle règle, le roi le prend sous sa protection (tutitio) voire lui accorde le privilège d’immunité et le droit d’élire librement son abbé. Ce don peut s’accompagner, plus concrètement la donation de biens (terres villae, églises). Le privilège d’immunité consiste à prendre le monastère sous la protection directe du roi sans interdire l’accès aux comtes et aux agents royaux.
L’espace monastique bénéficie donc d’un statu juridique particulier, en dehors de la juridiction comtale. Le monastère immunisé est alors représenté par un avoué qui exerce les charges judiciaires et administratives.
Ces relations étroites créent une collaboration entre les rois carolingiens (mais aussi les membres de la haute aristocratie) et les moines. Même si le droit de libre élection de l’abbé est concédé, c’est toutefois le plus souvent le roi qui nomme les abbés, issus de l’aristocratie de son entourage. Certaines abbayes ont à leur tête de abbés dont un « abbé laïc », souvent un grand aristocrate à l’instar de l’abbé Vivien, comte de Tours et abbé de Saint Martin à la fois. Les monastères apparaissent donc comme des points d’appui du pouvoir royal et aristocratique. Si on peut penser qu’il s’agit d’une « mise sous tutelle », il ne semble pas que les moines l’aient alors vécu de cette manière. Au contraire, pour le moment, la protection royale est une garantie d’autonomie mais aussi d’expansion car le souverain est le plus grand pourvoyeur de biens.
CONCLUSION
Ce grand programme d’unification et d’organisation de l’Empire s’appuie donc sur un système hiérarchisé dans lequel chacun trouve sa place et a une mission précise. A la tête du système se trouve l’empereur, ses proches que chacun doit servir : les comtes et leurs subordonnés, les évêques et les moines. Les Carolingiens ont une mission précise : l’encadrement pastoral des fidèles pour les clercs ; la prière pour les moines. Ce programme apparaît en accord avec le souhait de réaliser une société chrétienne idéale, l’ecclésia.